vendredi 15 juin 2012

Les Pères dévorateurs


Quand s'arrêtera-t-il le Temps des Pères 
Broyeurs d'enfants
Dieux dévoreurs Ouragan et Typhon 
riant aux désordres de leurs gestes infanticides.
Crocs en jambe fatals des Pères Bouchers
Cris noirs
Géographie folle
Balancés à bout de bras, les petits,
tête en bas
la main crochet comme seul repère 
afin de mieux leur faire goûter la mort.

Pris et repris sans trève
Enfants ingurgités à l'envers
dans la matrice paternelle.
Chaos, poison semence déposée dans chacun d'eux.
Montagnes noires
Balancés et retournés les petits 
Happés et rendus au secret
éternel
Cris dans le vide ventre des Ogres
Muets, langue jamais apprise
En guise de visage, le lieu de défécation 
et comme seul Ciel les dents rieuses
de l'Ouragan
Rejetés loin 
Très loin de tout amour
Jetés sans compassion au cachot.
Renversé, le monde.
Balancés à bout de bras, les petits,

L'amie est là qui pleure
bras tendus.
Il fait nuit.
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"La douleur de l'autre à ton endroit, jamais tu ne pourras l'entendre, la prenant toujours pour celle que l'autre t'a fait goûté, dans le passé, jusqu'au vomissement"

mardi 12 juin 2012

Lettre à P.



     Chère P.,

     De toutes les personnes que je connaisse, tu es la seule à avoir capté avec subtilité, profondeur et humanité l'intensité de l'ébranlement qu'a provoqué chez moi toute cette longue histoire douce-amère.

     Sans doute parce que les autres, ayant été partie prenante et ayant été violemment touchés (pourtant cent fois moins que moi...), je ne peux trouver d'écoute équivalente. Leur rejet étant total.
Chez toi, rien de tout cela: une sensibilité non pas seulement à l'humain mais à... l'âme. 
Un contact, une communion directe avec cet invisible qui porte, en même temps que l'amour, l'insondable menace qui guette celui qui veut s'en approcher.

     Ce goût pour la recherche incessante de ces profondeurs - recherche qui constitue, je crois, le seul sens de la vie - je pense que nous la partageons. Et pour moi, c'est à chaque fois un grand réconfort de la reconnaitre et de la palper chez l'autre - car je ne suis plus seule.
Le monde que nous traversons est si chaotique qu'il élimine cet Inouï primordial qui est à l'origine de chacune des naissances de l'homme: naissance à soi-même, perpétuel mouvement.
Chaque pas que nous faisons est induit par la puissance souterraine de ce long fleuve de vie et peu s'arrêtent pour en saisir la pulsation, écouter son appel.
Tu fais partie de ceux-là. En toi, en nous, nous pouvons nous reconnaitre hommes.
     La même puissance oeuvre dans l'amour comme dans les gestes les plus meurtriers: cela nous ne savons,  l'ayant expérimenté chacune dans nos corps. Et cela ne nous fait pas peur.

     Parfois je me dis que je peux disparaître d'un coup et partir et alors la peine est immense car, si je ne dis pas ces choses là à qui peut l'entendre, je serais alors partie dans une grande solitude.

     Toute vie connait des actes fondateurs et lorsque ça arrive, il y a un avant et un après, et plus rien n'est pareil: ce bouleversement a la puissance d'un volcan.
     Cette histoire avec celui que tu sais a cette puissance-là puisqu'un jour, assis face à moi, il a décidé de s'ouvrir et la chose qu'il a déposée, brûlante, entre mes mains, est précisément ce fleuve-là dont je parle. Le savait-il ? Je ne suis certes pas la première personne à qui il s'est ouvert, mais moi, je l'ai reçue de cette manière-là car je n'en ai pas d'autres. Son innocence, je l'ai respectée et me suis mise à genoux devant elle et n'ai eu de cesse à lui renvoyer la mienne. Lorsque la peur sans doute, mais saurais-je un jour ce qui s'est passé ? a pris le dessus, je suis restée à la même place, connectée à cette chose primordiale, humble, douce, patiente, me faisant tout entière mémoire de cette innocence première: qui aurait pu s'en souvenir ? lui-même ayant balayé tout cela d'un geste libérateur, selon ses propres mots.

     Il y a une vieille histoire juive qui raconte qu'un ange, lorsque le bébé sort du ventre, pose ses deux doigts sur la bouche et le menton de l'enfant, afin qu'il taise à jamais ce de quoi il est né.
Avec celui que tu sais, l'appel a été si fort, que la bouche s'est ouverte. Et nous avons touché le secret. Voilà pourquoi je lui disais: "... une histoire belle comme le commencement du monde"...

     Je ne sais pas pour lui, mais de mon côté, et depuis mon corps, voilà quelle a été notre histoire. Et si je disparaissais subitement, sans que nous nous soyons retrouvés, je voudrais que ce soit toi qui le lui transmette car alors je ne serais plus. Que tu lui fasses lire cette lettre et d'autres choses*, ces lettres et écrits que je ne lui ai jamais envoyés car il n'est plus là, en face pour les recevoir.     Ma demande peut te paraitre insensée mais, tu sais, j'ai toujours ces histoires de coeur, et je me dis: si ça m'arrivait ?

     Je suis proche des personnes que j'aime. Mes filles sont là et ma relation est vivante avec elles, mais lui, non, notre dialogue s'est arrêté un jour de la manière la plus absurde et insensée qui soit.

     Je ne sais pas si tu vas accepter, mais cela me serait d'un grand réconfort si tu disais oui.
     Je t'embrasse

* les docs qui l'accompagnent sur mon ordinateur et surtout ce blog même

vendredi 8 juin 2012

La Maison

Il était une fois, un enfant qui avait brûlé sa maison d'enfance et était parti pour ne plus être brulé.

Chaque maison qu'il rencontra, il la brûla: c'était elle ou lui.
Lorsque la maison était petite et douce, elle n'était jamais à son goût: pas assez puissante, pas assez brûlante.
Lorsque la maison était trop impérieuse, il ne s'en sentait pas digne et finissait par partir.
Un jour, il partit sur le chemin afin de s'en trouver une à sa mesure.

Il était une fois un enfant qui cherchait sa maison.