vendredi 29 novembre 2013

Dernier épilogue: le secret

         

Elle ne pensait pas que ce fut chose possible. Seulement chez les autres, ou dans les romans ou essais de psychanalyse, croyait-elle.
Or, à présent, cela venait de lui arriver - à elle: une chose avait été enfouie, refoulée, au plus profond de sa mémoire et cette chose, à la limite de l'inavouable, venait d'apparaitre.
          Sa première réaction, lorsqu'elle entendit Mme C. S. la nommer, fut de rire: c'était ridicule, si loin de la vérité - cela ne correspondait à aucune sorte de réalité connue ni vécue, du "n'importe quoi". Mais au fur et à mesure qu'elle trouvait les mots pour défaire l'hypothèse (invraisemblable pensait-elle) qui était émise, ces mêmes mots, sitôt exprimés,  la trahissaient et révélaient la chose même qu'elle était en train de rejeter.
          Se pouvait-il qu'elle avait pu ignorer une chose si évidente, si réelle ? Un tel évènement, situation avait pu se dérouler sans qu'elle le sache ?

          Cette chose énorme, dont on ne parle, avec les autres, qu'à voix basse et qui représente le tabou suprême, sa mère le lui avait fait goûté, à distance, cela, oui, elle l'avait toujours plus ou moins pressenti (elle disait: amour fusionnel et l'avait, adolescente, souvent traitée de sorcière) mais cela, cela, en pensée, avec son frère ?
          C'était totalement inouï, inconcevable... Inconcevable qu'elle ne l'ait pas su.
       
          A ce moment même du "dévoilement", se produisit une chose qui la laissa stupéfaite: le poids qu'elle portait et faisait porter à l'autre, le jeune homme, depuis si longtemps, se déporta entièrement et subitement sur son frère et elle. De "l'autre côté", il ne restait plus rien, rien du tout: un vague "copain" - et rien de plus.
          Cela se passa si vite, qu'elle n'eut même pas de mots pour cela, pour l'autre - tant celui-ci était devenu insignifiant et lorsqu'elle revint sur elle, elle eut juste le temps de réaliser l'énormité de ce qu'elle avait refoulé, gardé caché, non su à ses propres yeux, que subitement ce poids si neuf lui explosa entre les mains et fit place à une légèreté: une libération: "c'était donc ça !"

          Le sentiment de faute ou de honte n'avait duré que quelques secondes. Les deux mouvements s'étaient succédés si rapidement qu'elle en avait le tournis. L'espace avait basculé, elle ne savait plus où elle se trouvait. Vivre en un temps si court l'effroi, la faute, le poids puis la libération la laissait ivre. Impression d'être sur un grand huit, touchant alternativement le ciel et la terre. Il n'était question que de sensations organiques et de visions; la pensée construite ou la réflexion viendrait bien plus tard.

          Le lendemain matin, tout s'éclaircit.
          Vivre avec une telle chose à l'intérieur de soi et si longtemps et faire qu'une autre partie de soi ne s'employait qu'à la faire taire, ne pouvait pas être vivable en soi. Un jour ou l'autre arriverait ce moment où elle se mettrait en situation de rencontrer quelqu'un qui pousserait la porte. Et là, l'amour fraternel revivrait, intact comme à son origine...
          Les mêmes mots que pour le frère.
          Le même désir de protection pour lui, contre le Mal qui l'avait emporté
          La même complicité fusionnelle
          La même pureté ressentie
          Les mêmes "monstres sortis du placard" - comme elle le lui avait si bien écrit un jour, sans le savoir.

          Telle est la fin de cette, tout de même, bien incroyable et romanesque histoire...