mercredi 14 novembre 2012

Conte inachevé

Il était une fois un garçon qui s'était enfui de sa maison. De son père, il n'avait connu que les brimades, jugements et coups. De sa mère, aucun amour ni protection. Il partit rebâtir sa vie et ce, depuis le tout début: rebâtir son enfance.
Il lui fallût une mère qui lui permette de jouer sans aucune limite ni loi, qu'elle soit toute confiance, douceur, protection, amour pour lui afin qu'il retrouve le goût de l'oiseau. Et aussi qu'il se trouvât beau et grand. Il la rencontra et lui donna tout ce qu'il voulait, et même encore plus.
Devenu oiseau, il sentit alors qu'il lui fallait désormais un sol, une colonne vertébrale. Il ressentit limites et frustrations mais il se tut et commença à s'absenter. La nouvelle maison qui avait perdu tout son intérêt, lui sembla tout à coup bien fade, et bientôt, il n'en eut plus besoin. Il se mit à la déconsidérer. Peu à peu, il ne s'essuya plus les pieds avant de passer la porte, ne prit plus la peine de dire bonjour et râla lorsque celle-ci (et les autres) ne lui donnait pas ce qu'il était en mesure et droit d'attendre, lui, devenu si important.
Un matin, il partit, lui déclarant qu'il était devenu grand et fort. "A présent, il faut que je construise ma propre morale. Il faut que je me trouve un père". Elle le félicita de sa nouvelle force et courage et malgré son chagrin, fut sincèrement heureuse de ce dénouement.

Mais, dans le village, ni tiers ni père en vue pour une juste et sereine séparation: ils devaient se débrouiller seuls.
Alors tout alla mal car les liens étaient encore forts et le garçon ne prenait garde à là où il coupait. Il se mit à trancher dans le vif, se moquant des plaies qu'il pouvait occasionner: il était pressé.
La femme ne le reconnut plus: lui, si doux d'ordinaire, devenait grossier et méprisant à son égard. Au lieu de vivre tout cela avec distance et humour,  un soir, elle craqua et se mit en colère.
Elle lui signifia qu'elle était déçue et lui lança des reproches. Le garçon se sentit projeté à nouveau dans son ancienne prison. Il la traita de sorcière et claqua définitivement la porte sur elle, cette même porte qu'elle lui avait ouverte un jour.

La femme, abasourdie, regretta sincèrement son geste et lui demanda pardon mais le garçon n'en voulut rien savoir. Son coeur semblait être devenu de pierre. En vrai, il se méfiait dorénavant de tout sentiment. Son visage avait changé et dans le village plus personne ne le reconnaissait: il était devenu dur et brutal et moqueur.
C'en était fini de son affabilité. Il dénigra publiquement celle qui l'avait accueilli, puis très vite se comporta de même avec tous les habitants du village qui l'avaient aussi nourri. Il cracha sur cette vie qu'il voulait quitter, cracha sur elle et sur les autres, insulta tout le monde et détruisit la maison qui l'avait, un temps, réconcilié avec lui-même.
Lorsqu'on lui demandait la raison de tout ceci, il répondait qu'il fallait qu'il protège sa liberté, qu'il ne voulait plus d'attache quelconque. Dorénavant, plus rien n'existait à ses yeux que lui-même. Il rompit tous les engagements pris et dansa de joie, ignorant la société des hommes.
Il se montra surtout de plus en plus cruel, mais toujours loin, plein de lâcheté, évitant soigneusement toute confrontation.
La femme supplia chacun des habitants de l'aider: le garçon se cherchait un père, il était en train de se perdre, ayant fait sauter toute limite, toute structure, il confondait tout, il lui fallait une Loi et une vraie reconnaissance. Elle-même était impuissante, à la place où elle était. Elle ne trouva personne parmi les hommes du village, car, découvra-t-elle, chacun d'eux avait eu son histoire secrète et douloureuse avec son propre garçon et aucun ne se sentait assez courageux ni désireux de jouer un tel rôle.
Les villageois, lâches, lui répondirent: "Laissons-le, ce n'est qu'un sot et un méchant, la vie se chargera de lui apprendre. Un jour, il se recevra un tel coup qu'il se mettra à réfléchir."

La femme alors retourna à sa maison, qui n'était plus qu'un gigantesque champ de ruines et pleura sur la lâcheté du monde et le gâchis de toute cette histoire.  Elle écrivit une lettre qu'elle ne lui envoya jamais car il n'aurait pu la comprendre: "La liberté que tu revendiques n'est accompagnée d'aucune autre valeur (la fraternité), elle n'est que tyrannie, la loi de celui qui impose la sienne: liberté absolue. Celle-la même que tu as rejetée un jour très lointain. Je t'en prie, pose-toi et entends-nous : tu n'es pas en danger et tu peux très bien partir dignement, en nous regardant en face. Nul besoin de fuir ni de "sauver ta peau" et de tout saccager, ni de transformer ton coeur en pierre.

Cependant, elle seule connaissait son histoire et touchée, continuait à lui pardonner tout: elle ne haussa jamais la voix, malgré la violence des paroles et coups qu'elle recevait. Elle souriait et encaissait bravement, mais les blessures furent de plus en plus nombreuses et lourd était le poids qu'elle s'obligeait à porter. Trop lourd. Un nuit, elle sombra d'épuisement et de folie et se comporta d'une manière si chaotique qu'elle fit le vide autour d'elle.
Ce ne fut qu'après de très longs mois de solitude qu'elle retrouva la force de se relever et de penser à elle-même. La première chose qu'elle fit fut de reconstruire sa maison et de lui redonner sa beauté d'antan. Puis petit à petit, elle put se remettre au travail et retrouva bientôt foi et confiance dans la vie et les hommes. Parfois, lorsque la douleur remontait, elle la chassait, souriante, en se disant qu'un jour, le garçon, devenu homme, finira bien par recouvrir la vue et revenir frapper au carreau pour la saluer et rire de tout cette histoire. Et puis, ne fallait-il pas qu'il traverse le monde, fasse ses propres expériences ? Ce n'était pas à elle de l'aider, non, surtout pas et il en était bien ainsi.

Quant au garçon, il quitta le village et s'en fut à la ville, et grâce à la lettre qu'elle lui avait donnée à son départ, vit s'ouvrir les portes de sa nouvelle demeure: celle du père qu'il s'était choisi.

La chute fut rude, mais il trouva ce qu'il était allé cherché: des regards sans complaisance, du réel, du corps, du tangible, du mesurable, du sérieux. Du "vrai", quoi. De la distance. Education à la dure...  L'exact opposé de ce qu'il avait goûté auparavant.
Il respecta ses nouveaux maîtres et les adula, comme il avait fait, un temps, avec sa mère adoptive.

Au jour d'aujourd'hui, son apprentissage n'est pas terminé. Personne n'a de nouvelles de lui. Mais des témoins racontent que ses nouveaux camarades se comportent en princes sûrs et imbus d'eux-mêmes et que dans le château, parmi les élèves, il y règne excellence et orgueil.
Mais la femme aime à croire (espérer ?) que tout ceci n'est qu'un détail et que ces choses-là glissent sur le garçon, si occupé à découvrir et vivre en profondeur un évènement de taille: l'apprentissage par le père. Et elle sait combien l'apprentissage sera long et que de nombreux pères devront se succéder avant que le garçon ne rencontre celui qu'il cherchait, celui qui devait lui transmettre la loi humaine: respect et amour de l'autre, "sa colonne vertébrale", comme il aimait le dire, avant qu'il ne se forme réellement à devenir homme.
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Ce conte reste inachevé.
L'apprentissage ayant tout juste commencé,  tout est encore possible - surtout dans un conte...

Je ne peux oublier

Ton désordre venu de ta prison,
Tu me l'as fait boire jusqu'à la lie
Et le visitant, je m'y suis perdue

Je n'aurais jamais du te suivre
Mais je ne pouvais oublier ta lumière
Et ta soif inextinguible de pureté

Je ne crois pas avec les autres
Que tu n'es qu'à oublier
Même si tout ce que tu fais
Leur donne raison

Et même si c'est cela
Qui te fait me maudire

Je ne peux oublier ta lumière
Et ta soif inextinguible de pureté

dimanche 11 novembre 2012

Fuir


Dans cette forteresse
Personne pour t'apprendre à partir
Personne il n'y avait personne
Sauf ces crochets couvercles
Serrures sombres et mains glacées.
Personne.

Comment dire au revoir,
Tu ne le sais pas
Mais à la place
Cours cours !
Jette jette !
L'autre
Loin très loin,
cet autre devenu l'Ennemi.

Bombes jetées
En arrière 
Sans regard pour qui saigne
Pour qui ne sait pas.
Pulvérisé, le bras tendu
Fracassée, la main qui te retient 
Pour un doux adieu.

Mots sauvages
Rire plein les dents
Pas de pitié
Pour les paysages détruits
Plus d'amour pour ceux que tu quittes

Rien que ta tête ta tête
Ta tête folle confondant le visage
De ceux que tu aimes
Avec celui de tes assassins

Plus de pitié
Plus de regard en arrière
Pour celui qui n'a jamais appris
Comment partir
Mais
Seulement fuir.